« Vous qui croyez encore à des miracles, oh! si vous vouliez chercher ce village perdu! Souvenez-vous: la ferme et l'arche de son pont de grange, la haie sous la lampe, la haute église. L'escalier de l'auberge est à double rampe, et sous les fenêtres il y a deux de ces barrières de fer où les dragons attachent leurs chevaux les dimanches après-midi. »
Si cette phrase de Gustave Roud résonne autant en moi, c’est certainement le mysticisme inversé qui l’embrase, l’espoir tenté par une promesse de foi. J’ai remarqué que je me retrouve devant le chevalet souvent comme un moine sans doctrine, prêt à prier des prières sans mots, sans dieux, sans croyance. Chercher dans le phénomène de la nature le sublime, beau et éternel. Un bouquet peint s’avère d’être non pas une vanité, un mémento mori, mais une forme d’infini sans au-delà. J’ausculte le monde qui m’entoure pour y trouver des débris, qui prennent tant de formes s’ils proviennent de l’héritage immatériel. Des formes que je peinais à prendre au sérieux dans leur symbolique innée, car leur métaphore s’effondrait dès que je m’y approchait pour regarder de plus près. La gêne de vouloir exprimer à travers des symboles qui n’ont plus ma croyance et qui s’effritent en paroles et en peinture, me rendait l’art comme une mascarade. Mais il me fallait du temps pour comprendre que cela venait de l’absence du divin en moi, l’absence de foi. Et que mes tableaux n’en étaient pas des témoins nostalgiques ou des propositions d’adaptation, mais que je me trouvais sur la crête entre les deux. Les personnages dans les peintures sont les témoins de la possibilité de s’attarder, d’observer et d’admirer le monde même s’il est vidé de sens. C’est comme si un monde sans foi n’avait plus de centre, mais qu’il possédait des traces de verticalités inébranlables, la beauté, les cycles, le soin, la peinture elle-même. Dans un monde de foi toute chose existe pour cette foi, a sa symbolique, y trouve une valorisation dans notre regard. Mais en l’absence de croyance, les hiérarchies s’effondrent et le monde vide de sens s’impose à nous comme un chaos sans repères. C’est pour cela que je peins. C’est une consolation sans promesse de peindre une fleur que l’on regarde attentivement. Elle ne voudra rien dire, restera silencieuse car cela suffit, mais son silence sera aussi témoin de ce que fut son importance. Le vide et l’infini sont le serpent qui se mord la queue. Un monde sans foi ne se présente-t-il à nous comme un univers de beauté qui se suffit à elle même.
Faire de ces idées des peintures crée des compositions poreuses. Les formes de vide que je construis permettent d’être traversées, explorées, admirées — là où autrefois vivait le spirituel. Comme un architecte qui pense l’habitant, le musicien qu’imagine le danseur ou l’écrivain qui sert l’aventurier, le peintre se doit de créer un tel espace.
La transition entre un monde ancien et un monde moderne qu’on a cru trop tôt terminé n’est pas à sa fin. C’est la première fois qu’une époque est marquée par le futur plutôt que par le passé. Après la chute, avant la consolation. Mais dans tout cela je ne veux ni croire, ni déconstruire. Je veux habiter la perte avec intention et émotion.